Le début de l’année 2024 a été marqué par un mouvement de contestation du secteur agricole, en France et en Europe. Comment l’expliquer ?

C’est un mouvement du terrain, de la « base » qui résulte d’une longue lassitude envers l’accumulation des normes, les injonctions contradictoires et le manque de reconnaissance. En particulier en Occitanie, région fortement impactée par les aléas climatiques et sanitaires, avec des revenus faibles (l’Occitanie représente 8 % de la valeur ajoutée agricole nationale mais 16 % des exploitations), une filière viticole en crise, et l’inflation qui pénalise les productions à valeur ajoutée (l’Occitanie est la première région bio de France avec 20 % de sa surface agricole).

Ce mouvement a été amorcé fin 2023 au travers de l’action « On marche sur la tête » qui consistait à retourner les panneaux des villes et villages. Il est ensuite devenu national, avec un important soutien de la population française. On retrouve ces mêmes mouvements de manifestations agricoles dans toute l’Europe, avec des revendications similaires sur l’accumulation des normes et le manque de lisibilité des politiques publiques, parfois en contradiction avec les ambitions affichées de souveraineté alimentaire et énergétique. Ce qui est demandé, c’est de replacer l’acte de production au cœur des politiques publiques.

Les annonces du Gouvernement ont permis de satisfaire une partie des demandes des agriculteurs, qui attendent maintenant des actions concrètes. Comment le Crédit Mutuel répond présent pour les agriculteurs en difficulté ?

Ce qu’il faut souligner, c’est que le contexte économique n’est pas l’élément déclencheur des mouvements agricoles. Pour autant, certaines filières, viticulture, agriculture biologique… connaissent des crises récurrentes. D’autres doivent faire face à une baisse de revenu liée au ciseau des prix dans certaines régions.

En tant que seconde banque de l’agriculture, nous sommes aux côtés des agriculteurs, avec des conseillers de proximité et à l’écoute. Nous restons proactifs face aux clients en difficulté, en analysant leur situation au cas par cas et en leur proposant une diversité de solutions adaptées à leur situation. Parmi les solutions, la modulation d’échéances des prêts en cours, voire le report de certaines échéances en fin de tableau, peut permettre de reconstituer le fond de roulement nécessaire pour passer les difficultés conjoncturelles. L’analyse se fait en fonction des réels besoins de trésorerie et de stabilité des exploitations sur le long terme.

La souveraineté alimentaire française s’érode depuis plusieurs années. La France prend-elle les moyens de redresser son agriculture face à la compétition européenne et mondiale ? Le peut-elle ?

Effectivement, nous devons faire face à une dégradation de notre capacité à couvrir nos besoins. Nous avons longuement entendu parler de l’exemple du poulet, dont désormais plus de la moitié de ce qui est consommé en France est importée, alors que la consommation augmente. Et c’est aussi le cas de la viande ovine ou encore les fruits et légumes. Ces filières, parmi d’autres, se caractérisent donc par une forte dépendance aux importations, et des difficultés à répondre à la demande.

La crise Covid, puis la guerre en Ukraine, ont fait prendre conscience de ces fragilités. Plusieurs plans de reconquête ont été annoncés, pour les fruits et légumes, l’élevage, les protéines végétales. Il faut bien avoir conscience que, au-delà des accords de libres échanges, les filières agricoles et agroalimentaires françaises doivent avant tout faire face à une concurrence intra-européenne.

Les atouts agricoles français sont pourtant bien réels. Mais les exploitations ont besoin de cohérence en matière de politiques publiques, qu’elles soient agricole, environnementale et commerciale. À l’heure où les tensions géopolitiques se multiplient, nul doute que la question de la souveraineté alimentaire sera au cœur de la loi d’orientation en cours préparation, mais aussi des élections européennes à venir.

La transition démographique est l’autre grand défi de l’agriculture – 100 000 exploitations ont été perdues ces dix dernières années et la moitié des chefs d’exploitation ont plus de 55 ans. Quels schémas peuvent être mis en œuvre pour y remédier ?

Les caisses fédérales du Crédit Mutuel sont pleinement engagées pour le renouvellement des générations en agriculture. Par exemple, dans le cadre de son dividende sociétal, le Crédit Mutuel Alliance Fédérale vient de lancer un prêt bonifié au taux de 2% pour accompagner les agriculteurs à financer leur installation.

Par ailleurs, le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire a lancé fin 2022 une grande concertation sur le pacte et le projet de loi d’orientation et d’avenir agricole. Plusieurs enjeux sont ciblés, dont celui de l’installation et la transmission.

Dans le cadre de ces concertations, auxquelles le Crédit Mutuel a contribué, les difficultés liées à l’accès aux capitaux pour l’installation de nouveaux agriculteurs et pour l’investissement dans les transitions ont été fortement relayées. Pour y répondre, le Gouvernement a annoncé plusieurs mesures que nous soutenons, notamment la mise en œuvre d’un fonds de garantie de 2 milliards d’euros et le déploiement de 400 millions d’euros dans le cadre du fonds « Entrepreneurs du vivant », en faveur du portage de capitaux et de foncier.

L’évolution de la démographie agricole nous impose également d’être plus présents auprès des exploitations en place, désireuses de faire évoluer leur outil de production pour répondre à la demande alimentaire.

Quels sont les objectifs du Crédit Mutuel sur le marché de l’agriculture pour 2024 ?

Les tensions géopolitiques, mais aussi les aléas climatiques, sanitaires et économiques, nous rappellent l’importance de l’agriculture pour répondre au défi de la souveraineté alimentaire et énergétique de la France et de l’Europe.

 Les enjeux pour le secteur sont considérables car nous devons concilier production agricole, réussite économique et transition environnementale. En plaçant ces objectifs au cœur de ses engagements, en particulier dans le cadre des politiques sectorielles agricoles des différentes caisses fédérales, le Crédit Mutuel a l’ambition de rester un acteur majeur du financement de l’agriculture.

Des revendications agricoles ressort l’importance d’être à l’écoute des acteurs du terrain pour répondre au mieux à leurs besoins. C’est bien là toute la force de notre modèle de banque mutualiste et de proximité, qui nous permet d’accompagner au long terme des entreprises qui font la vitalité de nos territoires. A ce titre, de multiples initiatives sont prises à tous les niveaux, toujours avec cette volonté d’agir au plus proche des territoires.